des artistes de différents endroits du monde partagent leurs expériences d'écoute et de pratique des musiques improvisées, expérimentales, inclassables.

12 novembre 2006

Scnack & Waiswisz aux Instants Chavirés - Lieux Communs


Ce concert est pour moi l'occasion de découvrir trois musiciens dont je ne sais pratiquement rien. Sur le plateau, The Hands II, l'instrument inventé par Michel Waisvisz, excite la curiosité. Le travail de Waisvisz implique des méthodes d'actions corporelles sur les sons échantillonnés - mouvements dans l'espace, accéléromètrie, détection dynamique,... Il n'est pas évident de décrire l'apparence de son instrument mais disons que la main s'y enfiche comme dans un gant. Ainsi, les mains déplacées dans le vide comme sur un piano virtuel, Waiswisz active de ses doigts des boutons savamment disposés et dont les fonctions sont méticuleusement répertoriées dans sa propre mémoire humaine qui presque se substituent aux datas confinées dans les mémoires électroniques. On comprend alors pourquoi son ordinateur est éloigné de lui, hors de sa vue. Son étrange regard, qui n'est pas uniquement celui intériorisé de l'écoute, reflète aussi un processing neurologique en action. Paul Hubweber et Uli Böttche quant à eux impressionnent par leur coordination. L'amplification et l'acoustique du trombone sont parfaitement traités dans un rapport de disparition/apparition donnant à maintes reprises à Paul Hubweber la possibilité d'être un acteur d'égale importance dans l'initiation des propositions sonores. Dans l'espace quadriphonique de diffusion les contrôleurs - Waiswisz & Böttcher - MIDI appuyés par LISA s'en donnent à cœur joie, bien souvent dans une débauche de sons éclatés, tronçonnés. Le tromboniste mêle interventions bruitistes à des sections plutôt free jazz ou contemporaines. Le qualificatif de GRM improvisation m'a paru très vite pertinent. Du plus anecdotique au plus chargé de sens aucun son n'est tabou et tous on droit de citation dans la plus stricte tradition de la musique acousmatique. Et dans ce jeu de mémoires cachées, traversent mes oreilles; Bayle, Schwarz & Portal, Parmegiani, j'en passe, et même les sons de Pop Corn, le fameux premier tube de la pop électronique composé par les Pop Corn Makers themselves. Bien souvent après un galop d'essai où les sons très librement sont jetés comme pour une sorte de repérage préalable des possibles, la musique prend très rapidement tournure dégagée de tout complexe. Une dizaine de pièces en deux sets, souvent très vives, denses, ludiques parfois et toujours exaltantes. Il y a dans la manière d'assumer pleinement cette tradition de la musique contemporaine, une parenté certaine avec les plus mémorables réussites de groupes de jazz historique.

11 novembre 2006

John Butcher solo aux Instants Chavirés - Lieux Communs

Sur scène un micro placé de manière à produire un feedback avec son enceinte atteste de l'évolution engagée par John Butcher dans sa réflexion à l'espace, au son acoustique et repris en diffusion. Ce dispositif sera ponctuellement utilisé comme moyen de sculpter les résonances harmoniques résiduelles (en larsen) de clapotis de tampons des saxophones ou effets de loupe sur quelques tentatives sonores de type musique concrète. Autant le dire tout de suite, cette approche bien que prometteuse n'a pas apporté à cette occasion le résultat escompté. Ce soir son jeu s'élabore en grande partie autour de progressions harmoniques à la manière de Steve Lacy - en hommage ? - mais volontairement continuellement entachées d'oblitérations multiphoniques, de growling, de flatterzung, de répétitions détimbrées d'un même motif,... Toutefois la complexification à l'excès du discours et la volonté compositionnelle toujours présentes alourdissent la forme et pèsent sur l'écoute là ou précisément Lacy à travers la limpidité de son phrasé porté par une pureté sonore unique nous emmenait vers une poétique de l'apesanteur. Le phrasé disparaît parfois pour laisser place au continuum très intense de multiphoniques rêches et granuleux, à des slaps violemment assénés, à des suraigus perforants, probablement les instants ou Butcher approche au plus près d'une matière sonore mais qui sont insuffisants à dissoudre ce sentiment d'assister à une démonstration, une performance monumentale, écrasante. Parce que John Butcher maîtrise aussi bien le ténor que le soprano nous assistons dans le même set à deux parties mimétiques, un cousinage avec permutations de blocs de modes de jeu variés, virtuoses, assujettis aux rythmes respiratoires du musicien. Mais ce qui entérine définitivement l'impossibilité d'écoute c'est probablement cette omniprésence de la pensée formelle, intellectuelle, cette volonté de construire un discours, une cohérence logique, réfléchie, efficace et talentueuse mais qui nous place dès lors en auditeur détaché de cette musique malheureusement trop froide.

Quentin Dubost solo aux Instants Chavirés - Lieux Communs

Quentin est un musicien très discret qui poursuit son travail avec patience et profondeur. Il nous a livré ce soir un solo de guitare de trente minutes passionnantes et risquées. Car il ne craint pas d'investir dans la perte, de laisser son instrument se montrer récalcitrant - exister au delà de sa volonté - installant un doute salvateur et puissamment dynamique dans le renouvellement des idées musicales. Sa musique se déplie à l'horizontale mais se zèbre constamment verticalement de tranchées fulgurantes, de drop-out aux aspirations vertigineuses, de scories involontaires ou non, de débris de jeu. Les étirements des lignes harmoniques sobrement filtrées se heurtent aux hachures des silences, s'interrompent, reprennent et bifurquent vers d'improbables espaces parasités, inachevés. La forme est conséquente de son geste alliant précision, approximations, effleurements, tentatives, hésitations, incursions. On a le sentiment que sa main gauche est à l'ouvrage directement dans cette matière diffusée, positionnée stratégiquement et se déplaçant autour du chevalet ou des micros pour obtenir les modulations des timbres, tandis qu'à la main droite l'archet contribue tout à la fois à l'entretien du son mais aussi à sa cassure. Des envolées comme des arrachements - des pelures dérobées au silence aussi, puis la perte du signal, l'acoustique qui surgit - survit - entre l'énergie électrique et puis s'en mêle. A trop pousser le jeu il advient que l'ampli se refuse et généreusement nous permet d'entendre un magnifique jeu de grains produits par le jack sur les cordes et décortiqués par l'archet. Mais l'ampli lui ne veut plus rien entendre alors arrêt comme une station vers le prochain solo.

6 novembre 2006

Robin Hayward, solo tuba, Lieux Communs, Montreuil, le 05/11/06



Il y a sans doute toujours une bonne raison de ne pas se rendre à un concert de musique expérimentale. Ce soir, à défaut du prix - le concert était gratuit - c'est sûrement le froid qui aura été invoqué. Nous étions donc 6 à écouter Robin Hayward pour deux courtes improvisations au tuba. Comme à son habitude, Hayward était assis de profil. Cette position n'est pas anodine chez le musicien, elle lui permet de donner à entendre "directement" les sons produits, c'est-à-dire avant que ces derniers ne soient réfléchis par les murs de l'espace où ils se propagent. Ces sons ne peuvent être émis à haut volume, au risque de perdre leur spécificité. De plus cette position permet à Hayward, tel qu'il l'explique dans son interview du n° 89 de Musicworks, de jouer sur les interférences produites sur le souffle par l'eau qui s'emmagasine dans les valves de l'instrument, ou encore de s'effacer derrière le pavillon protubérant de son instrument afin de supprimer en partie le "spectacle" du corps du musicien qui ne pourrait que perturber l'attention à la seule musique.
La première pièce nous fit ainsi entendre les détails de la salive qui se perd dans la tuyauterie complexe du tuba. La seconde, davantage inscrite dans une approche formelle et également bien plus intéressante à nos oreilles, consistait en une série de jeux de souffles tenus, dont la variation des granulations se mariait de manière particulièrement heureuse avec les infrabasses de la chaussée, que la porte principale restée ouverte laissait passer en même temps qu'une dose supplémentaire de froid. Ce heureux hasard ne doit cependant pas nous faire oublier qu'une musique ne peut prendre tout son intérêt que dans un lieu qui lui est approprié, en l'occurrence non pas un entrepôt mais un lieu de taille réduite, à l'instar de la musique produite et du public présent.