des artistes de différents endroits du monde partagent leurs expériences d'écoute et de pratique des musiques improvisées, expérimentales, inclassables.

9 décembre 2006

Eddie's Workshop


Les rendez-vous du Vendredi à la chapelle Welsh sur Southwark Bridge pour l’atelier d’Eddie Prévost sont devenu une tradition tellement ancrée dans la vie de l’improvisateur qui se trouve à Londres, que l’on se demande parfois si la musique improvisée libre ne s’institutionnalise pas par moment. Inutile de trop s’attarder sur cette polémique un peu stérile et passons plutôt en revue une journée typique de ce regroupement intimiste qui rassemble depuis plus de sept ans des musiciens venue du monde entier.

La phrase typique d’Eddie quand un nouveau musicien se pointe est la suivante : « Le but de cet atelier est d’étendre les limites de ton instrument ». A part ça, Eddie se fait entendre rarement. Résultat, beaucoup de musique et peu de parlotte, ce qui est déjà un bon point relativement aux ateliers où j’ai eu la chance de prendre part.

Déjà, Eddie n’a vraiment pas besoin de parler parce que l’atelier possède une certaine structure instaurée bien avant ma première visite. Le rituel de l’atelier est tel :

1- Une fois tous les musiciens installé Eddie désigne un musicien qui se met à jouer en duo avec le musicien à sa droite, jusqu’au moment où ce musicien arrête de jouer et laisse la place au musicien qui se trouve à la droite de l’autre. Et ainsi de suite jusqu’au moment ou la musique a fait le tour du cercle y compris le musicien désigné en premier qui joue son second duo avec le musicien à sa gauche.

2- Après ça, Eddie enchaîne en désignant des trios de son choix. C’est trios sont purement aléatoire et représente comme le dit Eddie « toutes les possibilités auxquels je pense au moment même. Si vous pensez qu’on peut faire autre chose n’hésitez pas à me dire ». Dès qu’un trio prend fin, Eddie sélectionne trois autres personnes. Et ainsi de suite.

3- Et pour finir, des quartets sauf que là, les formations se décident par les musiciens : un quartet commence puis dès qu’un musicien décide d’arrêter de jouer il choisit son remplaçant, et ainsi de suite jusqu'à ce que la musique prend fin d’elle-même.

(Pendant les quartets)

Cet automatisme imposé par des années de pratique en groupe, paraîtrait instaurer une certaine monotonie à l’approche musical. Mais plus j’y pense et plus j’ai l’impression que l’atelier d’Eddie personnifie le mieux ce que la musique improvisée devrait être, du moins dans la démarche à suivre. Premièrement parce que la seule règle qui reste au centre du travail c’est l’écoute. Deuxièmement parce cette manière de faire évite une bonne fois pour toute de tomber dans des envies de ‘compositions’.

Donc pas d’exercice ou on se concentre sur un ou plusieurs son, ou texture, pas d’exercice ou on défini une limite dans le temps. Pas d’exercice de volume, de densité etc. Le plus important reste la total liberté laissé aux musiciens. Ce qui fait que l’atelier connaît des changements d’orientations qui partent du free jazz à une musique complètement minimaliste et texturale.

De plus, cette manière de faire instaure une attitude ou une éthique de tolérance poussée à l’extrême. J’ai remarqué qu’on a facilement tendance à instaurer des règles implicite quand on joue, à mesure que les années passent. De fait, on se retrouve avec toute une gamme de critères d’évaluation qui hiérarchisent notre conception du style de l’improvisation.

Rien de mieux que l’atelier d’Eddie pour briser cet amalgame égocentrique. Ce qui ne veut pas dire que tout est bien tant que c’est du son, mais au moins, on se retrouve entrain de briser certaine de nos rigidités acquises dans le passé grâce à une constante écoute de tellement de différence. Les règles d’or restent l’écoute, l’intention, et la détermination (à poursuivre). Ni plus ni moins. Il reste que c’est possible d’entendre Eddie commenter. Mais il faut vraiment que quelque chose d’exceptionnel ce soit passé. Justement, quelque chose qui brise surtout la règle de l’écoute (quelqu’un qui a son ampli trop haut et qui clairement n’entend pas ce que l’autre fait.

(Matt Milton et Eddie Prevost)

La seule chose à noter c’est qu’il y a peu d’électroniciens qui vienne à cet atelier. La plus forte composante est constituée d’instrument à vent dont moi inclus ! Aussi l’utilisation non conventionnel des instruments reste timide (ce qui n’est pas en soit un problème, juste une observation de style) surtout pour les vents, la seule exception notable étant Seymour Wright qui parfois passe pour un acrobate mais ceci mérite une discussion séparé sur ce musicien très intéressant.

En ce moment si on a la chance de passer par l’atelier d’Eddie, on pourrait apercevoir, Ross Lambert (guitares) qui est là depuis qu’Eddie est là, Seymour Wright (alto saxophone), Matthew Milton (violon, scie musicale, objets), Jerry Wigens (clarinette) Nicholas Christian (basse électrique), Jennyfer Allum (violon), Noel Taylor (clarinettes), Romuald Wadych (guitare électrique). Sinon il y en a beaucoup d’autres que j’ai oublié de citer et je m’en excuse, et surtout y en a qui viennent s’essayer une fois ou deux et peut être qui revienne un mois après ou qui revienne jamais.

2 décembre 2006

Demarchelier, Dubost, Forge, Hindi et Toulemonde - Rotonde de Choc 1_12


Rotonde de Choc propose une programmation de concerts de musiques inclassables au sein même d'un espace municipal de la ville de Paris. En investissant régulièrement la petite salle cubique noire, Pascal Marzan permet à de nombreux artistes de se faire entendre dans un cadre où l'oreille est généralement à son aise, proche de la source, sensible aux détails. Une intimité d'écoute qui favorise bien souvent la réception des musiques les plus exigeantes. Un quintet rassemble pour l'occasion Matthias Forge, Nicolas Demarchelier, Jassem Hindi, Quentin Dubost et Olivier Toulemonde. La disposition des musiciens se fait en alternance des sources acoustiques et amplifiées. De la gauche vers la droite nous trouvons Nicolas au jeu de guitare acoustique très réductionniste - cordes frottées, grattées ou mises en résonance, glissements sur la caisse - dans un soucis d'interventions toujours simples et précises. Se trouve ensuite Jassem - avec son dispositif électroacoustique constitué de cassettes audio, ressorts, plaques et moultes objets ou appareils désossés - davantage connu pour une musique noise et extrême, se montrant là plutôt discret, calme avec une diffusion bien intégrée au son acoustique. Matthias en position centrale active la tuyauterie de son trombone par divers jeux de souffleries et de ventilations organiques. Vient ensuite Quentin flirtant de sa guitare électrique avec la limite de l'audible, très souvent à la frontière entre la perception et l'entendu - joli art de l'escamotage. Et totalement sur la droite, Olivier à l'œuvre sur sa planche de travail - de l'aggloméré à la surface composite - usant d'une batterie d'ustensiles variés (cf photo) pour recréer de façon totalement acoustique, par de véritables gestes instrumentaux, des matières aux allures électroniques. Improviser avec un ensemble aussi large et hétéroclite n'est jamais facile. Pour mon oreille ce qui a caractérisé la musique est l'impression de suspension, dans le fait qu'il m'a semblé qu'elle se situait presque constamment entre la stabilité d'intentions claires et assumées et le flottement du doute et de l'incertitude. Mais c'est bien cette présence de l'"inter" qui a porté l'ensemble vers une musique accordant une place prépondérante au silence, aux arrêts révélant par effet de contrepoint : interactions, interférences, interdépendance, interventions, interrogations. Toujours présente entre eux une qualité d'écoute autorisant une circulation d'idées dénuées de toute volonté d'affirmation individualiste. Une forme globale bipartite principalement minimaliste, pointilliste, interrompue par de plus massives incursions mais jamais totalement exarcerbées. Une constance de dynamiques et de volumes parfois brisée d'éclats. Un instant à la sobriété plaisante et rassurante.