des artistes de différents endroits du monde partagent leurs expériences d'écoute et de pratique des musiques improvisées, expérimentales, inclassables.

19 mai 2007

Rotonde de choc (Salle Noire), Marc Baron & Seijiro Murayama le 18/05/07

La salle noire de l’espace Jemmapes est, c’est bien connu, un endroit à la fois incontournable et pourtant peu fréquenté dans le paysage parisien des musiques expérimentales, proposant bien souvent des formations de choix sous la programmation judicieuse et participative de Pascal Marzan. C’est aussi, sans rapport de cause à effet, un endroit particulièrement bruyant – l’unanimité en conviendra facilement – mal isolé, relégué à une extrémité du bâtiment et juxtaposé aux toilettes mixtes continuellement fréquentées dès les premières notes émises. Cela étant, cet aspect n’est pas forcément problématique en soi et se doit en cela d’être pris en compte par les musiciens qui s’y exposent.

Le vendredi 18 mai, nous avons pu écouter deux soli de musiciens à l’écoute attentive. Il s’agissait tout d’abord de Marc Baron au saxophone alto, auquel succéda Seijiro Murayama aux percussions dont le dispositif réduit comprenait une caisse claire et une cymbale. Je n’avais jamais entendu auparavant Marc Baron en solo, ne le connaissant qu’à travers l’excellent quatuor de saxophone auquel participent également Bertrand Denzler, Jean-Luc Guionnet et Stéphane Rives, et j’étais pour cela particulièrement curieuse de l’écouter dans cette expérience singulière qu’est pour « tout » musicien le solo.

Ce set dura environ 45 minutes durant lesquelles le silence, c’est-à-dire l’écoute par le musicien et le public d’une part de l’absence de son émis par le premier et d’autre part des rumeurs environnantes, prit une place considérable, à l’instar des performances de Taku Sugimoto ou de Radu Malfatti, fidèles compagnons de parties d’échecs animées. Sur ce fond de silence venaient alors se poser, avec précision mais aussi avec un certain caractère brut et détendu – c’est-à-dire simple au sens propre du terme et éloigné de toute perspective esthétisante –, quelques sons isolés, répétés selon divers agencements choisis hic et nunc conférant par là-même une dimension aléatoire à leur succession ; sons rares et clairsemés à la typologie réduite : souffle court, médium propice aux harmoniques, suraigu tenu et scintillant.

Cependant aussi attentive que fut cette écoute, celle-ci me sembla ne pas pouvoir considérer à leur juste mesure les bruits alentours, s’inscrire parmi eux afin d’y trouver une place qui profiterait pleinement du jeu indécis entre bruits et sons musicaux. L’une des raisons de cette position d’écart qui ne parvient pas à faire sien l’espace qui l’accueille était ici sans doute due en partie à la quasi absence de variations dans la dynamique des différents sons que Marc Baron nous souffla. Une dynamique piano pour l’essentiel, comme en position de retrait, cherchant une sympathie de climat dans les va-et-vient du couloir adjacent qui quant à eux n’y prêtaient guère attention, mais offraient, par ce même mouvement, la richesse ordinaire des rapports de volume de nos actions quotidiennes.

Cette caractéristique de la salle noire de l’espace Jemmapes prit un tout autre sens dans le second set de cette soirée. Là point de retrait, mais des sons parmi les sons, des gestes qui ne prêtaient pas une attention excessive à leur environnement, simplement occupés par leur mouvement dont la répétition durable, mais aussi différenciée, laissait place subtilement à leur résonance. Ce set de Murayama dura 30 minutes et se divisait en deux plages symétriques, l’une à la cymbale frottée dont la périphérie entrechoquait de temps à autre la surface de la caisse claire, provoquant ainsi de légers heurts harmoniques et l’autre à la seule caisse claire frappée dans un geste rapide et continu par des baguettes aux différentes qualités de timbre. Set rigoureux au formalisme assumé. Dès lors les spécificités du lieu ne l’étaient plus tant, convergeant vers un espace autre et pourtant non différencié que l’on aimerait appeler musique.

The Spectacle of Being The Spectacle: A homage to Guy Debord's first film: Hurlements en faveur de Sade.

« A propos de ces souvenirs, j’ai détruit le cinéma, parce que c’était plus facile que de tuer les passants. »

Le mercredi 2 mai a eu lieu à la galerie Immanence un concert de Mattin en hommage aux Hurlements en faveur de Sade de Debord. Il s’agissait là d’un concert qui s’intéressait à la forme même du concert et qui dès lors s’apparentait davantage à une performance. La galerie était vide, sans scène ni musiciens ; comme seule présence autre que le maigre public réuni, des haut-parleurs en position frontale et quelques spots dirigés ici et là sur le public. Selon une partition similaire au film de Debord, la performance vit se succéder deux longues plages de bruit blanc diffusé à très haut volume, la pièce plongée dans un noir complet, entre lesquelles s’intercalait une plage de silence de durée voisine, la pièce cette fois-ci sur-éclairée par les spots allumés de manière synchrone avec l’arrêt net du bruit.

Le bruit blanc, son sans qualités par excellence, agissait dans les deux plages à la manière d’une masse. L’écoute ne s’adressait alors plus tant aux oreilles et leur ascendant habituel, mais au simple corps - matière convoquée dans sa présence. Cette adresse au corps du public - sa position d’écoute mais aussi sociale – était dirigée durant l’interlude plus spécifiquement vers la vue, mise à l’épreuve par l’éblouissement des spots silencieux, mais aussi en retour vers l’ouie, assourdie, reprenant par degrés lents sa place dans la hiérarchie des sens. Ces concerts sont finalement rares dans le champ des musiques expérimentales et pourtant ce sont ceux-là mêmes qui lui donnent un sens.