des artistes de différents endroits du monde partagent leurs expériences d'écoute et de pratique des musiques improvisées, expérimentales, inclassables.

7 janvier 2009

Pour notre plus grand plaisir et intérêt, dans la petite salle du théâtre Monnot à Achrafieh, reprise des concerts de musique improvisée libre initiés par le collectif libanais MILL, organisateur du festival Irtijal.


Charbel Haber

En ouverture, un solo de Charbel Haber, chanteur et guitariste du groupe de rock libanais Scrambled Eggs.  Sa musique se caractérise par la mise en boucle d'éléments récurrents, un soin de l'irrégularité, une édification méticuleuse de chocs, frottements, résonances, excitation des cordes, frappes, ebow ; utilisation de quelques pédales d'effets et d'objets.
Une pièce en trois parties introduite par un drône assez ambiant, dans les registres grave et médium, s'ouvrant en un lent crescendo, une horizontalité, calme et sensuelle. Suit un passage assez fébrile de superpositions arythmiques, par petites touches, de bruits, un peu bancal, décousu. Quelques traits d'ebow finissent par y installer une certaine poétique. La troisième partie clôt la pièce sur du gros son saturé par de la reverbération et de la distorsion apportant une qualité sonore très particulière ; le phrasé mélodique, est volontairement noyé dans les effets noise des pédales et du volume poussés à fond, et relégué dans un plan sonore très lointain. Charbel Haber poursuit son exploration des genres en passant du post rock aux expérimentations sonores, travail qui devrait se concrétiser bientôt dans un opus discographique mêlant Scrambled Eggs et musiciens improvisateurs à la manière des travaux sur SYR de Sonic Youth. Une réussite en soi.


Mazen Kerbaj


Raed Yassin


Sharif Sehnaoui


A Trio est formé de Raed Yassin, Mazen Kerbaj et Sharif Sehnaoui. Les instruments (respectivement contrebasse, trompette et guitare acoustique) sont joués préparés ; usage de plaques métalliques, tournevis, baguettes chinoises, bols chantants, plomb, règle, tuyaux, etc... Une pièce de 35 minutes ininterrompue, entretenue par une activité physique permanente. L'écoute irréprochable domine de bout en bout la musique. La pièce se déploie naturellement sans effort, dans une dynamique constante, comme s'il suffisait uniquement de laisser les sons - par leur réalité acoustique - occuper l'espace, éprouver l'épuisement naturel de ce qui intrinsèquement les constitue ; suivre la voie indiquée par l'intention, l'écoute, et qui se transforme ensuite dans leur combinaison. A aucun moment l'énergie commune ne flanche ; les crépitements, le feu, le vent, paysage de manufacture robotisée, environnement urbain, harmonies célestes, cris du cœur, râle de fin d'un monde, tout est joué sans précipitation, sans jugement, par une économie de geste ou au contraire par l'engagement dans l'instrument des corps, courbés, contorsionnés, embrassant littéralement la matérialité instrumentale pour mieux en façonner leur matière sonore ; telle une architecture organique faite de physique acoustique, de lambeaux de peaux et de suées. Un excellent concert !

A Trio

4 janvier 2009

[...] L'argent et le pouvoir sont à prendre pour qui les veut, presque un cadeau, il n'est même pas difficile de s'en emparer. Ce sont bien sûr les escrocs les plus habiles qui emporteront la mise. Toutes les réticences sont devenues inadéquates, tous les distinguos ont disparu. Il n'y a plus de classes supérieures que l'on désire se concilier, ou dont on veut obtenir les faveurs ; il n'y a plus de classes inférieures auxquelles on doive rendre des comptes. Il n'y a plus d'opinion publique. Il n'y a personne pour manifester son mépris de tout cela, hormis une poignée d'entre nous (...). (C'est une chose connue à Zurich, où tout cela ne les intéressait pas, que Lénine vécut en face du café Voltaire. Il n'alla jamais y discuter ; il avait son jardin à cultiver. La seule défense irréductible que je connaisse, même si elle n'est pas victorieuse, est la liberté d'expression. Manifestement l'art ne dit rien à la majorité des gens, mais il est difficile de se tromper sur le sens du mot NON.) Les dirigeants ne veulent pas s'embêter à faire des distinctions entre les faibles qui de toutes façons n'ont aucun pouvoir, Ils simplifient donc. Plus les masses sont homogènes, plus il devient facile d'en tirer de l'argent, de les exploiter, de concocter des guerres. Pour la génération de chefs d'entreprise de l'époque Reagan, tout cela n'est qu'un jeu d'enfants, qu'à la surprise générale ils ont gagné, un monde à la struwwelpeter, un monde de jeux cruels. Pour leurs successeurs immédiats, la seconde génération, qui espère le pouvoir et l'argent, les menaces deviendront réalité, la répression sera efficace, les guerres préventives : c'est-à-dire que des guerres seront nécessaire pour se garantir contre leur fin. Soyez sur vos gardes, le déclin des Etats-Unis ne sera pas aussi pacifique que celui de l'Empire britannique, ou de l'Union soviétique.

écrit en 1990

Donald Judd - Ecrits 1963-1990 (daniel lelong éditeur)